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L’on peut aujourd’hui, moyennant pas mal de finance, débarquer d’avion dans le sud du Maroc, et se faire transporter nuitamment en 4x4 pendant quelques heures sur des pistes de moins en moins tracées, pour s’avancer à pied entre des dunes et assister enfin, assis dans le sable, au lever du soleil sur l’immensité vide et froide du Sahara. Cette curieuse attirance qu’exerce le « rien », Nacer Khemir la nie, paradoxalement, en déclarant dans un entretien : « Pourquoi associer, comme on le fait souvent, les Arabes et le désert ? Leur société est fortement urbaine depuis très longtemps … Aucun Arabe n’aime le désert : le désert, c’est le rien ; comment peut-on aimer le rien ? » Mais lui-même à l’évidence – c’est tout Bab’Aziz - partage et veut faire partager cette fascination pour ce « rien » que chacun doit remplir de son âme.
Bab’Aziz – Le prince qui contemplait son âme est un film tunisien (2005) de Nacer Khemir, conteur, calligraphe, dessinateur, sculpteur … et cinéaste (Les baliseurs du désert 1986; Le collier perdu de la colombe 1994). Nacer Khemir s’attache, depuis qu’il a commencé à recueillir les contes oraux circulant dans la Médina, à faire connaître et pénétrer en Occident sa culture arabo-musulmane – dont le conte est un véhicule traditionnel majeur.
Quatre contes se greffent autour des errances du grand’père (‘Pépé’ Aziz) et de sa petite fille Ishtar en route vers un mystérieux rendez-vous de derviches au milieu du désert : conte du Prince, que l’on verra en effet contempler son âme dans le miroir d’une source ; aventures de Hassan le dissolu, qui cherche au désert où il s’est enfui un derviche balayeur, roux et fou (un derviche, littéralement, c’est un fou de Dieu), responsable de la mort de son frère Hussein le studieux ; histoire d’Osman, le vendeur de sable (sable-buvard, pour sécher l’encre du calligraphe) qui voudrait émigrer vers « un pays où il n’y a pas de sable » mais tombe (au sens propre) dans un palais plein de jeunes beautés, qui s’évapore soudain et sera désormais l’objet de sa quête ; enfin roman de Zaïd à la voix d’or, et de Nour qui elle aussi disparaît à peine connue - nouvelle quête.
Tous ces contes vont de plain-pied avec la vie, symbolisée par le couple du vieillard et de la fillette embrassant toute l’amplitude de l’existence, sans décalages visuels ni sonores, comme il convient lorsque l’imaginaire et le concret ne se distinguent plus – on s’apercevra ainsi que le conte du Prince (« Il était une fois… ») est celui de la jeunesse de Bab’Aziz, et comment il devint derviche ; tandis que le concret tourne au magique, lorsque la fuite prosaïque d’Osman devant un mari courroucé se transforme en plongée poétique au fond du puits où se matérialise momentanément le palais de ses rêves...
De sa culture, Nacer Khemir nous fait un tableau fort en exotisme – architecture d’arabesques, vêtements colorés, calligraphie sacrée puisque support de la parole divine, soufisme et ses danses, ‘ablutions sèches’ avant la prière… – tout imprégné d’harmonie et de tolérance : « Il y autant de chemins vers Dieu qu’il y a d’hommes sur la terre » et dominé par l’omniprésence du désert.
Nous retrouvons donc ici le désert avec les différentes connotations déjà repérées au cours de ce week-end : et d’abord comme décor, un décor conforme ici à toutes les conventions – dunes et rochers, vent de sable, palmiers, gazelles – décor immense parce que rien ne vient y arrêter le regard, ni végétation ni constructions, océan infiniment grand de grains de sable infiniment petits. « Certains traversent les montagnes, d’autres traversent les mers – et nous le désert. »
Mais ce milieu qui pourrait être hostile, menaçant, où sévit la tempête de sable, où le Prince, puis Ishtar, risquent de se perdre, où peuvent apparaître de la terre d’effrayants djinns, se révèle surtout être un lieu de vie, de rencontres, où danses et chants accompagnent les moments de liesse comme ceux de recueillement. Et le lieu de la rencontre des derviches, une ville morte qui rappelleétrangement ce Bastiano du Désert des tartares, n’est plus ici un cimetière lugubre, mais un caravansérail joyeux. La clé nous est donnée très tôt : « Celui qui a confiance ne se perd pas ».
C’est en effet par sa spiritualité que l’humain, si vulnérable devant le silence éternel des espaces infinis, reconquiert confiance et dignité. La menace de l’errance n’est pas tant celle du péril de sa vie, que celle de rater le rendez-vous trentenaire des derviches. Cette réponse à l’épouvante de l’inconnu est illustrée tout au long du film par le mysticisme des derviches, tournoyants ou autres. Elle est soulignée aussi par le dépouillement moral – du prince, qui obtient dans l’isolement contemplatif la réponse vitale que les plaisirs de cour ne pouvaient lui procurer – aussi bien que matériel, comme le montrent ces personnages qui circulent au long cours sans bagages ni soucis, confiants que « Dieu pourvoira » et trouvant à leur étape la soupe qui les attend.
C’est ainsi que la vie, que l’on voit sourdre dans ce désert de la naissance (Bab’Aziz et Ishtar émergeant du sable après la tempête, Osman extrait de son puits, le Prince naissant à une nouvelle vie…) à la mort (Bab’Aziz en clôture du film) est placée ici sous l’enseigne de l’amour entre les êtres : amour et respect de l’enfant et du vieillard l’un pour l’autre, de Nour pour son père disparu, de Hassan le rustre pour son frère, de Zaïd, portant dans ses bras la petite Ishtar affaiblie, pour Nour aux cheveux coupés… Et la confiance s’étend à la perspective de la mort : « L’enfant à naître, que sait-il des merveilles du monde qui l’attend ? »
Il en est de même pour le passage à la mort. Le film s’ouvre sur une résurrection après la tempête, se clôt sur le décès paisible de Bab’Aziz. Entre deux une quête, peu importe de quoi : ce qu’il faut c’est chercher, « chacun de nous a une chose à accomplir ». Nacer Khemir nous propose de comprendre la culture arabo-musulmane comme appuyée sur le Coran et les Mille et une Nuits, comme déployée entre la loi et le désir, entre l’oralité du conte qui est la voix de la mère, et l’écriture sacrée qui exprime la loi portée par le père.
Ces derviches et autres personnages se rendant au désert, où il n’y a personne, pour se retrouver les uns les autres, le transformant en un lieu de vie et d’échanges – n’y-a-t’il pas là un parallèle avec ces Pro-filiens qui ont fait eux-aussi un pèlerinage commun vers une rencontre… sur le Désert ?
Jacques Vercueil
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