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Auteur : 
Gianfranco Rosi, 52 ans, né en Erythrée, italo-américain, études à NYU Film School. Après un voyage en Inde, premier moyen métrage, Le Passeur, tableau de la vie sur le Gange (plusieurs festivals internationaux). Le court Afterwords sera présenté à Venise 2000. En 2008, premier long : Below sea level met en scène une communauté de marginaux vivant dans le désert (Prix Horizons et Doc/It à Venise 2008, meilleur documentaire au festival de Ballaria (Italie), Grand prix et Prix des jeunes au Cinéma du réel 2009, meilleur film au festival One World de Prague, Prix Vittorio De Seta du meilleur documentaire au Bari IFF 2009). En 2010, long métrage El Sicario – room 164, film-interview sur un tueur à gages mexicain (Prix FIPRESCI à Venise 2010 et Prix Doc/it, meilleur film à DocLisboa 2010 et DocAviv 2011). Le suivant, Sacro GRA, portraits d’individus hauts en couleur vivant sur le périphérique autoroutier de Rome (Grande Raccordo Anulare), remporte le Lion d’or à Venise 2013, premier long documentaire à l'obtenir. En 2016, Fuocoammare rem­porte l’Ours d’or à la Berlinale 2016 (premier long documentaire à l'obtenir) et le Prix du jury œcuménique. Président du jury Œil d’or (films documentaires) à Cannes 2016.


Fuocoammare

Fuocoammare, par delà Lampedusa (Fire at Sea, Italie/France 2016, 106 minutes)

Le film surprend dès le départ. Au début, des chiffres à l’écran qui nous donnent ces informations : Sur l’île de Lampedusa 20 kilomètres carrés à 70 miles de l’Afrique et 120 miles de l’Europe près de 400 000 migrants ont débarqués au cours des vingt dernières années 15 000 personnes sont mortes en essayant de traverser. Le film commence alors par de longues images, dans un paysage aride, d’un jeune garçon qui semble chercher quelque chose dans un arbre. Est-il un réfugié qui se cache ? Nous finissons par comprendre qu’il choisit une branche pour faire une fronde. Le réalisateur nous emmène ensuite dans les studios d’une radio locale, puis dans la cuisine d’une vieille dame qui écoute cette radio qui dans un flash d’information annonce le repêchage d’une barque avec des émigrés à bord. « Pauvres gens » dit-elle, et la vie continue. Où veut-il en venir à sautiller ainsi ? Mais dès les premières images des barques de réfugiés avec ces êtres hagards, au regard terrifié de ceux qui ont vu leur mort de trop près, on comprend d’une part que Rosi nous offre un documentaire à nul autre pareil, car son propos est de nous montrer les deux visages de l’île, deux mondes qui se côtoient et pourtant si loin l’un de l’autre. On comprend surtout qu’il donne au spectateur une respiration, une pause pour affronter l’indicible. Sans musique, sans commentaires inutiles, dans un silence oppressant, Rosi a l’intelligence de faire parler seulement les images. La part importante consacrée à Samuele, petit gaillard drôle et touchant, homme avant l’heure, et à sa famille, à ses parties de chasse aux oiseaux à la fronde, est un contrepoint nécessaire pour faire comprendre au spectateur l’absurdité et le tragique de la situation. Pour nous dire que ce monde dans lequel se déroule une telle tragédie est bien le nôtre, et que nous ne pouvons ni l’oublier ni fermer les yeux. Lors de sa remise de l’Ours d’or à Berlin il a déclaré : « Je pense que nous sommes tous responsables de cette tragédie, peut-être la plus grande que nous ayons vue en Europe depuis l’Holocauste. Nous sommes complices si nous ne faisons rien. »

Curieusement, sur un sujet aussi lourd je serais presque tentée de parler de délicatesse. Rosi veut nous montrer et faire en sorte que l’on se sente concernés, mais il se tait, se contente de poser sa caméra, s’attarde sur des corps désarticulés, à bout de souffle, enchevêtrés comme le sont les jumeaux à l’échographie d’une rescapée enceinte, sur des visages, visage en gros plan d’un rescapé qui entonne une mélopée slamée, rythmée par les survivants, pour dire leur parcours de misère. Le capitaine d’un navire de sauvetage a demandé à Rosi de filmer les cales de ce cercueil flottant où gisent une quarantaine de cadavres qui ont payé un millier d’euros le droit de mourir. Mais il le fait si rapidement que ce n’est qu’une fois la scène passée que l’on réalise ce que l’on a vu.

Dans ces deux mondes étanches qui se côtoient sur l’île il y a toutefois un trait d’union ; ce magnifique médecin qui soigne Samuele parce qu’il se plaint d’étouffer parfois ; il a également un œil paresseux qui ne veut pas voir. Deux belles métaphores ! Ce médecin, Pietro Bartolo, nous donne une grande leçon d’humanité. Dans un passage poignant, il déclare ne pas pouvoir s’habituer à l’horreur qu’il vit au quotidien, bien qu’il soit médecin sur l’île depuis 20 ans. Ses nuits sont peuplées de cauchemars. Il confesse sa lassitude et son chagrin devant ces survivants qui présentent des brûlures souvent mortelles dues au mélange de l’eau de mer et du fuel, ces êtres décharnés qui souffrent de déshydratation, ces cadavres d’enfants, de femmes en plein accouchement, ces morts sur lesquels il doit faire des prélèvements. « Ça laisse comme un trou, un vide à l’intérieur » puis il ajoute : « C’est le devoir de chaque être humain d’aider ces gens ».

Effectivement, ce défi est le nôtre, celui de l’Europe. Et, autre parallèle saisissant, pendant que les habitants de Lampedusa se dédicacent des chansons d’amour à la radio locale, une autre radio capte les appels de détresse et demande inlassablement « Quelle est votre position ? Quelle est votre position ? » Oui, quelle est notre position ?

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