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Le corps au cinéma

Variations sur le thème de la nudité féminine.

Comme les arts visuels qui l'ont précédé (sculpture, peinture) le cinéma s'est emparé de la nudité du corps des femmes et en a fait des usages variés qui ne se résument pas à ce qui est spécifique du cinéma : le mouvement. Comment cette nudité peut-elle être montrée, utilisée, magnifiée, transcendée ? Il y a diverses manières de solliciter la nudité féminine et de lui faire remplir des fonctions diverses dans le récit filmique : Nudité cachée - Nudité suggérée - Nudité montrée - Nudité chosifiée - Nudité exposée - Nudité provocante - Nudité volée - Nudité esthétisée - Nudité libératrice - Nudité assumée comme preuve du sujet..... Je me bornerai à la présentation de quelques exemples et à l'évocation de questions qu'ils posent tant du point de vue de leur sens dans le récit que du ressenti provoqué chez le spectateur.

Nudité spontanée : Le nom des gens (Michel Leclerc 2010)

Bahia, jeune femme très extravertie, vit dans le non conformisme et même la provocation, aussi bien dans ses mœurs que dans ses paroles. Témoin cette pratique : elle couche avec des hommes aux idées politiques contraires aux siennes et, ce faisant, s'efforce de les en faire changer. Elle tient un classeur dans lequel elle consigne ses conquêtes et ses réussites sur ce plan. Lorsqu'elle rencontre Arthur, l'exact contraire de ce qu'elle est, c'est avec le regard de celui-ci qu'on va l'observer. Et lorsque dans un moment de grande précipitation, elle sort nue dans la rue, sans sembler ni s'en apercevoir, ni comprendre qu'on s'en offusque, elle semble dire « je suis comme je suis », « prenez-moi comme je suis ». De nombreuses séquences nous la présentent incapable de cacher ce que l'on dissimule habituellement, face à Arthur dont le regard sert de jauge à ce qu'il est licite et non licite de montrer. La nudité ici n'est pas voulue expressément en tant que telle et elle n'est soulignée que par le regard d'autrui. Bahia est-elle impudique ? Ceux qui la regardent avec stupeur le pensent certainement et ne sont pas suspects de voyeurisme. Entre elle et ceux qui l'entourent il y a un grand malentendu...

Nudité dérobée : Les femmes du 6° étage ( Philippe Le Guay 2011)

Jean-Louis Joubert, bourgeois maniaque et rigide, recrute une jeune femme de ménage espagnole dont la simplicité et l'efficacité vont le conquérir. Elle habite au 6° étage de son immeuble, avec d'autres domestiques espagnoles, qui assument avec courage et bon humeur leur charge. Mme Joubert, découvrant que Maria ne dispose pas de douche à son étage, lui propose d'utiliser pendant la journée sa propre salle de bains. Revenant à l'improviste chez lui au cours de la journée, Mr Joubert entend couler l'eau de la douche et entrouvre la porte de la salle de bains. Il aperçoit Maria, nue, se lavant. Surprise et émoi devant ce corps jeune et beau ! Ce motif de la nudité entr'aperçue et suscitant l'émoi et le désir masculin, est fréquemment utilisé au cinéma comme dans la littérature. Son aspect conventionnel ne doit pas faire négliger son sens : la nudité féminine est source de désir masculin. C'est une très vieille histoire qu'on rencontre déjà à plusieurs reprises dans la Bible et particulièrement dans l'épisode de « Suzanne au bain ». Et le récit fait surgir la question de la réaction de l'homme, des hommes, face à cette nudité dérobée. Maria ne sait pas qu'elle est vue nue. Elle n'est pas impudique. Jean-Louis Joubert qui l'aperçoit n'est pas voyeur, contrairement aux vieillards libidineux de Suzanne qui vont se cacher pour renouveler leur plaisir à ce spectacle. Mais le vol de sa nudité à la femme innocente est le prélude à l'entreprise d'appropriation par l'homme de cette femme. Et pour le spectateur cette scène fonctionne comme l'annonce de ce qui risque de se passer.

Nudité exhibée et érotisée : La vie d'Adèle (Abdellarif Kechiche 2013)

Dans cette histoire d'amour homosexuelle nous assistons à de longues scènes de relations physiques entre Adèle et Emma. Ces scènes sont traitées avec une grande esthétisation, ce qui les rend supportables pour le spectateur. Abdellatif Kechiche a filmé les étreintes « comme des tableaux, des sculptures », comme une « chorégraphie de la gestuelle amoureuse », mais cela ne leur enlève pas leur côté érotique. Et la longueur de ces scènes fait vivre au spectateur une exhibition prolongée de ce qui relève habituellement de l'intimité. Mais ces corps nus qui s'étreignent n'exaltent pas seulement leur beauté. Ils montrent, dans l'intensité de leur relation, l'importance du ressenti des protagonistes, ce qui permettra de mieux comprendre ensuite le désespoir d'Adèle lorsque son amie la délaissera. Adèle et sa compagne ne sont pas impudiques puisque personne n'est censé assister à leurs ébats. Mais qu'en est-il du regard des spectateurs ? Ile peuvent se sentir « de trop », comme spectateurs indiscrets de ce qui se passe sous leurs yeux. Ils peuvent se positionner comme voyeurs et prendre plaisir à regarder ce corps à corps qui n'est pas censé être vu. Le réalisateur laisse ainsi chacun libre de lui donner tel ou tel sens ou plutôt le renvoie à son rapport personnel au dialogue des corps.

Nudité esthétisée: L'artiste et son modèle (Fernando Trueba 2013).

Ce vieux sculpteur, qui retrouve le goût de son travail en prenant la jeune Mercé comme modèle, nous fait saisir comment la nudité féminine peut être mise à distance par un regard créateur. Pas de voyeurisme dans ces scènes de pose. Ce corps, nu, n'est pas là pour être touché et approprié physiquement par l'artiste, mais pour être exalté dans l'œuvre qui sortira de ses mains, qui éternisera la beauté. La mise à distance est soulignée par l'usage du noir et blanc qui esthétise encore plus ce face à face. On peut rapprocher ce film de ce que décrit Erri de Lucca dans « Le tort du soldat », où la narratrice évoque son travail de modèle dans une école d'art, et la possibilité de s'abstraire complètement des regards. La nudité sert alors de protection, comme un vêtement.

« Je n'étais pas gênée de me mettre nue ni d'être regardée. A la différence des stripteaseuses on exigeait de moi l'immobilité.... Le plus difficile est de rester longtemps dans la position demandée....Les yeux fixés sur un corps nu pèsent lourd sur lui... J'étais faite pour le métier de statue....La pose immobile me rassurait... Ma nudité devait rester silencieuse et enfermée dans une salle de l'Académie. » p. 54-55)

On comprend que cette convention, ce contrat entre l'artiste et son modèle, est fragile, lorsque le sculpteur ressentira la montée chez lui du désir, et s'enfuira pour y échapper et ne pas lui donner suite. La nudité du modèle est fonctionnelle, l'artiste la prend comme telle avec une visée artistique. Mercé n'est pas impudique et le spectateur n'est pas mis en position de voyeur, car à aucun moment la jeune Mercé ne joue de sa nudité comme outil de séduction.

Nudité libératrice, reconquise : La forêt d'émeraude (John Boorman 1985)

Les femmes des ' Invisibles', tribu indienne de la forêt amazonienne, vivent nues comme tous ceux de leur groupe. Cet état de nature ne provoque aucune gêne ni aucune provocation. Lorsque ces femmes sont capturées pour être vendues comme prostituées aux Blancs, on les affuble de sous vêtements érotiques dont la fonction est visiblement d'exciter le désir et d'inciter au déshabillage. Libérées par les hommes de leur tribu, on les voit arracher avec rage ces oripeaux et retrouver leur innocence en même temps que leur nudité. Ce sont les vêtements qui les humilient, leur nudité qui les humanise et en fait des sujets. Dans le rapport au corps la nudité n'a pas le même sens pour les « Invisibles », dont c'est la condition naturelle et partagée par tous, et pour ceux qui veulent instrumentaliser le corps de ces femmes. Pour ces derniers le vêtement qu'on enlèverait à la femme ferait accéder à une nudité contrainte et humiliante, sans rapport avec celle de leur vie dans la forêt.

Dans ce plaidoyer pour la sauvegarde des micros sociétés confrontées à une modernité qui menace leur survie, la nudité devient aussi le symbole d'une forme d'innocence.

Nudité transcendée, spiritualisée: Le silence de Lorna (Dardenne 2008)

Dans ce film une scène apparait fondamentale à cet égard. Lorna, une jeune femme étrangère, a épousé Claudy uniquement par intérêt, par convenance personnelle. Elle veut obtenir ainsi la nationalité belge. Leur 'association' ne constitue pas un couple mais seulement une cohabitation, sans relation physique que Lorna refuse obstinément. Claudy est toxicomane mais cherche à changer et à rompre les ponts avec ceux qui lui fournissent la drogue. Il demande à Lorna de l'aider, par exemple en l'enfermant à clef dans l'appartement lorsqu'elle s'en va travailler. Lorna ne croit pas à la sincérité de Claudy car il a souvent rechuté. Elle n'écoute pas ses appels à l'aide, jusqu'à ce que Claudy lui donne des preuves de sa détermination à changer réellement. Mais les dealers reviennent à la charge et relancent Claudy par téléphone. Alors, Lorna s'offre à lui, nue, pour que ce geste l'empêche de retomber dans la dépendance.

A ce moment là, la nudité du corps offert de Lorna est éminemment spirituelle. Parce qu'elle signifie non seulement un corps, offert, mais parce qu'elle montre que Lorna croit désormais en la possibilité pour Claudy de s'éloigner de la drogue. Cette nudité signifie que Lorna accepte d'entendre ses appels à l'aide, qu'elle accepte de croire en lui. Ce qui est spirituel ici, se traduit dans un comportement matériel, charnel, mais le transcende. Rien n'est dit mais ce qui est montré, et la manière de le montrer, reflètent une dimension humaine d'écoute de l'autre et de ses appels à l'aide. Ils sont la preuve que Lorna a entendu Claudy et accepte de l'aider. On est bien loin d'un corps objet. On accède au corps sujet.

En s'emparant de la nudité féminine dans des trames narratives et des situations fort diverses, le cinéma lui fait assumer bien des significations qui ne se résument pas, loin de là, à la chosification de ce corps. Corps instrument, corps objet, mais aussi corps sujet.... La liste serait longue des films déployant la diversité de ces sens. Les exemples ci-dessus ne sont qu'une amorce pour des analyses qui pourraient se développer à l'infini. Les cinéphiles se plairont à trouver encore d'autres variations sur ce thème ou à faire des rapprochements de tel titre avec un de ceux cité plus haut.

Maguy Chailley

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